Qui n’a jamais rêvé un jour de travailler au soleil, devant une plage ou un paysage du sud ? Ce phantasme, certains le réalisent en télétravaillant depuis l’étranger. Ce phénomène du travail nomade comme on l’appelle a connu un boom lors de la crise covid mais il ne s’est pas dégonflé depuis lors. Il est encouragé par la numérisation du travail, la qualité des connexions, la congestion des villes, le prix des bureaux ou tout simplement le bien-être du personnel. Il y a pourtant des règles et des balises à respecter pour éviter toute désillusion.
Jan a 50 ans, il est salarié dans une banque internationale, son bureau est à Bruxelles mais il travaille plusieurs semaines par an depuis sa petite maison d’Ardèche : "J’ai de la chance, ma banque nous permet de travailler 30 jours par an depuis l’étranger, à condition que ce soit en Europe et que cela ne perturbe pas le service. Des collègues d’autres sociétés sont moins chanceux, leur employeur ne tolère aucun télétravail depuis l’étranger. Par contre, d’autres sont mieux lotis, ils peuvent travailler dans n’importe quel pays du monde où leur boîte possède un siège, même au bout du monde. Cela intéresse les Belges qui veulent profiter d’un peu d’exotisme mais aussi les expats qui veulent travailler depuis leur pays d’origine. En fait, c’est souvent au cas par cas."
Effectivement, il y a autant de situations que d’entreprises ou de secteurs. Il faut tout d’abord un job qui permette de télétravailler. Sans surprise, ce sont les métiers en voie de digitalisation qui s’y prêtent le mieux. A ce titre, la crise covid a dopé la dématérialisation de nos modes de travail. Après y avoir été obligées, les entreprises elles-mêmes ont découvert tout le profit qu’elles pouvaient tirer du télétravail, et elles ont maintenu la tendance, même quand l’obligation est tombée. Et quitte à autoriser le travail de chez soi, autant l’autoriser depuis l’étranger, du moment que la différence ne se voit pas.
Valérie T’Serstevens, du secrétariat social SD Worx, le confirme : "On constate que le télétravail se maintient au-delà de la crise covid, y compris depuis l’étranger, cela correspond à une demande des travailleurs et en général les entreprises ne sont pas contraires. Rien ne les oblige, elles peuvent refuser tout télétravail ou le limiter à la Belgique, mais elles sont plutôt partantes. Bien sûr, elles s’organisent en conséquence et elles posent des conditions, il faut notamment que cela ne change rien en termes de fiscalité et de sécurité sociale." En clair, travaillez d’où vous voulez, du moment que le job est fait et bien fait. La réglementation ne dit pas autre chose.
Les limites du travail nomade : le fisc et la sécurité sociale
La législation belge sur le télétravail n’interdit pas le travail à l’étranger. Mais elle dresse néanmoins un cadre dans lequel évoluer. Il faut d’abord l’accord de son employeur, c’est la base. On a vu qu’ils sont souvent partants, à condition que les horaires de travail soient les mêmes et qu’ils ne subissent pas de décalage horaire. Le travailleur doit être disponible aux mêmes heures qu’en Belgique. Les entreprises exigent des outils informatiques et une connexion internet performants, il faut rester joignable, c’est la responsabilité de l’employé.e, même si le PC est fourni par l’entreprise. L’employeur doit aussi prévenir sa compagnie d’assurances afin d’éviter tout malentendu en cas d’accident du travail. A ce propos, explique Catherine Mairy, juriste chez Partena Profesionnal, "un accident qui survient en télétravail dans une location ou un hôtel à l’étranger ne sera pas automatiquement considéré comme un accident du travail. Il faut que certaines conditions soient remplies, par exemple, la signature par l’employeur et le télétravailleur d’un document précisant le lieu et la période du télétravail. En cas d’accident, on se référera à ce document. S’il est absent, il appartiendra au télétravailleur victime d’un accident de prouver qu’il s’agit bien d’un accident du travail."
Et puis, il y a des limites dans la durée. S’il veut rester soumis au droit belge, le télétravail à l’étranger ne peut pas dépasser certains caps.
Au niveau fiscal, il faut travailler au minimum la moitié de l’année en Belgique. En clair, l’employé.e qui veut télétravailler depuis l’étranger ne peut pas y passer plus de 183 jours par année civile. Si cette limite est respectée, l’employé.e sera imposé.e en Belgique sur l’ensemble de ses revenus, y compris ceux gagnés à l’étranger. Le salaire doit évidemment être payé par l’employeur belge. Sinon, si l’employé.e travaille à l’étranger pendant plus de 183 jours par an, il ou elle échappe au fisc belge et l’impôt devra être payé dans le pays en question, ce qui risque de compliquer la vie de l’employeur belge.
Au niveau de la sécurité sociale, il y a aussi une limite à ne pas franchir. Le principe général édicté par un règlement européen, c’est que ces cotisations doivent être payées dans un seul Etat, celui du lieu de travail. Que se passe-t-il quand on travaille simultanément dans deux Etats ? La personne qui travaille en partie à l’étranger y sera assujettie si elle y travaille pour au moins 25%. En clair, si plus de 25% du temps de travail a lieu par exemple en France, le travailleur tombe sous le coup de la sécu française. Une règle suspendue pendant la période covid, prolongée à plusieurs reprises mais qui devrait être rétablie dès le 1er juillet 2023.
Les limites sont parfois faites pour être contournées
Des limites existent donc mais c’est comme pour tout, il n’est pas interdit de négocier. Walter est employé dans une importante firme pharmaceutique établie en Belgique. Sa compagne habitant le sud de la France, il a trouvé un arrangement pour travailler à ses côtés : "pendant des années, nous avons fait des allers-retours, toutes les 3 semaines l’un des deux allait rejoindre l’autre, mais c’était lourd en termes de déplacements, j’en ai eu marre d’avaler tous ces kilomètres et j’ai fini par convaincre mon patron de pouvoir prester tous mes jours de télétravail depuis la France, même si ce n’était pas prévu dans les statuts. Je me partage donc maintenant entre 6 semaines en Belgique et 2 en France. Honnêtement, je crois qu’il a eu peur de me perdre, raison pour laquelle le DRH a accepté de fermer les yeux."
Fermer les yeux, laisser faire, c’est aussi le mot d’ordre pour Lisa. Cette jeune de 24 ans travaille pour une société de marketing digital depuis l’île de Bali en Indonésie : "J’étais allée en voyage là-bas et j’avais vu des tas de jeunes Européens travailler depuis là-bas. J’ai eu envie de faire de même pour des raisons économiques, météorologiques et de rythme de vie, j’ai réussi à convaincre mon boss de me laisser partir 3 mois mais il m’a posé comme demandé que ça ne change rien à mon boulot au niveau horaire, je travaille donc de 14 à 21 heures pour être raccord avec mes collègues belges. Mais je ne veux pas qu’ils le sachent pour éviter la jalousie et j’ai peur aussi de perdre en crédibilité s’ils savent que je bosse devant une plage balinaise. J’avoue aussi que j’ai un visa de touriste et que je ne suis pas sûre d’être 100% en ordre avec la réglementation d’ici mais c’est temporaire… En tout cas, je ne suis pas la seule, c’est rempli de jeunes expats et tout est fait ici pour nous simplifier la vie, les connexions sont même meilleures que chez nous !"
Les inconvénients éventuels du travail nomade comme le manque de contacts avec la famille ou les collègues, ce n’est pas d’actualité pour Lisa. Et c’est vrai que nous sommes sans doute nombreux à rêver d’être à sa place, au moins pour quelques temps…
Author: Charles Walker
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